Oupsypo 1990
Jadis, quand nous étions enfants, nous appelions ce passage du divan au fauteuil, la passe. Le « Maitre » d’école nous avait enseigné que c’est ainsi qu’il fallait dire.
J’ai toujours été intriguée par cette coutume qui consistait à signifier le fait que quelqu’un devenait psychanalyste, donc commençait à travailler comme psychanalyste, par la désignation d’un changement de la posture corporelle. Pire encore : par les meubles qui soutiennent ledit corps.
Le Dictionnaire Etymologique de Bloch et Wartburg donne les définitions suivantes pour ces meubles :
DIVAN, 1653, au sens « d’ estrade à coussins », à propos des Turcs. Antér. défini « court ou conseil », 1558, à propos de la Turquie au XVIIIs. « conseil de ministres etc », et aussi « chez les notables turcs salle de réception, dont le tour est garni de coussins ». Empr. du turc diouan qui a ces derniers sens, lui-même emprunté du persan diwan. V. douane. Le sens de « meuble, sorte de sofa » est relevé depuis 1742.
FAUTEUIL. D’abord faldestoel (stoed de la Chanson de Roland est peut-être une faute de copiste), puis faldestueil XIIIs, faudeteuil, encore en 1611, contracté en fauteuil. 1558. Au moyen âge désigne un siège pliant qui servait pour les grands personnages, rois évêques, seigneurs. Du francique faidestôl, cf. anc. haut ail. faltstuol, propr. « siège pliant » (cf all. falten « plier’ et Stuhl « siège »). Empr. au fr. par des langues voisines : it. faldistorio « siège épiscopal », esp. facistol « lutrin », a pr. faldestol’fauteuil, trône, lutrin ». Aujourd’hui répandu sur tout le territoire gallo-romain sous la forme et avec le sens du fr.
En tenant compte de l’étymologie, et dieu sait à quel point ce recours à l’origine des mots est répandu dans le discours des psychanalystes, allant jusqu’à prendre la place de tout autre forme de raisonnement, on peut faire les constatations suivantes :
1) Le passage du divan au fauteuil constitue un véritable périple culturel allant d’un monde persan, puis turc, avec des estrades à coussins, au monde germanique, puis francique, des chaises pliantes.
2) C’est également le passage d’une posture corporelle languie d’abandon et molle, à une posture corporelle tonique, maîtrisée et raide. Au-delà de l’aspect culturel, cette modification exige un réajustement considérable de l’image du corps, et de ses représentations personnelles et sociales.
3) Alors que le monde oriental, l’échange verbal se faisait sur des coussins, dans le monde du moyen âge germanique, puis français, il se faisait assis sur des chaises dures et pliantes. Mais il y avait. une homogénéité de postures entre les convives. Là où il y avait des coussins, il n’y avait pas de chaises pliantes, et vice-versa. Le passage du divan au fauteuil introduit donc une rupture, une discontinuité et une disharmonie entre les convives, soit entre les partenaires de l’échange verbal. L’un (le psychanalyste) étant systématiquement sur la chaise pliante, l’autre (le patient) sur une estrade à coussins. L’un, dans l’univers germanique, l’autre, dans l’univers turc. Passer de l’un à l’autre équivaut en somme à un passage de l’Empire Ottoman à l’Empire Austro-Hongrois. Si l’on se rappelle par ailleurs que la position allongée, requérant le divan, est une survivance de la pratique de l’hypnose, cela laisse rêveur sur l’emprise de l’Empire sur notre Freud lui- même, sans oublier que la guerre entre ces deux empires n’était pas très éloignée au temps de la mise au point de ces postures emblématiques des corps de la psychanalyse.
4) Un seul trait commun permet néanmoins de passer de la pratique d’un meuble à un autre, d’un univers à l’autre : clans les deux cas, qu’il s’agisse de divans ou de fauteuils, ceux-ci étaient réservés aux dignitaires, soit laïques soit de l’église. C.Q.F.D. Le peuple n’avait-il donc pas de meubles ? En tout cas pas de l’espèce qui passe à la postérité par une fonction rituelle. D’où ceci:
Proposition du 1er Avril 1990 :
Pour remédier à cet état peu reluisant de limage de la psychanalyse qui se voudrait laïque, démocratique et accessible à toutes les couches sociales, plutôt que de procéder à la diminution du rythme des séances et à celle des prix, nuisibles au standing de la corporation, afin de satisfaire les couches défavorisées de la population, je propose d’introduire un meuble supplémentaire dont la présence sera tout aussi « emblématique » et « incontournable » que le divan- fauteuil. Ce meuble sera un guéridon.
La définition du Bloch et Wartburg en est la suivante :
GUÉRIDON, 1650. Nom propre d’un personnage d’une facétie de 1614, qui fut introduit vers la même date dans un ballet le nom n pris ensuite rapidement le sens de « chanson, vaudeville », 1626 (« Vers pour les guéridons et les chansons nouvelles »), appliqué par fantaisie au petit meuble qui porte encore ce nom, peut-être parce que, dans les ballets, Guéridon tenait un flambeau, pendant que les autres danseurs s’embrassaient. Ces petits meubles avaient en effet souvent la forme d’une personne, en particulier d’un Maure. Le nom même est très probabl. né d’un refrain de chanson, comp. des refrains (ô) gué et laridon.
Dans le nouveau dispositif du cabinet du psychanalyste, le guéridon devra être obligatoirement placé entre le divan et le fauteuil, ce que certains analystes d’avant-garde pratiquent déjà de manière plus ou moins consciente. Devenir psychanalyste se dit alors : passer par le guéridon.
Ceci aura alors les avantages suivants :
1) rendre manifestes deux signifiants refoulés (ou censurés ? du champ de la psychanalyse, à savoir, le don et la guérison, si ce n’est le don de la guérison.
2) désigner le processus du devenir psychanalyste par un signifiant populaire et authentiquement français. La référence au Maure permettra une meilleure intégration des nouvelles générations d’autres origines, et indiquera un souhait de voir la communauté psychanalytique s’ouvrir à un monde moins violemment marqué par le seul judéo-christianisme.
3) refouler (ou censurer ?) les deux signifiants impériaux, « divan » et « fauteuil », étrangers, et politiquement connotés d’antagonismes. Une autre connotation viendra à cette place, elle sera, non plus de nature guerrière, mais amoureuse. La métaphore du Guéridon danseur, témoin de couples qui s’embrassent, fera éclairage sur le primat du sexuel dans toute cure. Cet aspect ne sera accessible qu’aux analystes dans la passe du guéridon, qui se seraient donné la peine de regarder le dictionnaire, ce qui est un minimum exigible quant à la pulsion épistémophilique d’un candidat à la chose.
4) Les psychanalystes en difficulté commençant leur 20′ tranche pourront bénéficier des avantages moraux et fiscaux du passage du guéridon, divan-fauteuil, cette appellation ne précisant pas le sens du voyage, ce qui est de toutes façons plus fidèle à la logique de l’inconscient.
Remarque.- Faire tourner les guéridons ne sera plus réservé aux seuls charlatans, mais pourra s’intégrer au cursus sérieux d’une psychanalyse didactique, sous réserve bien entendu d’une approbation de la commission de l’I.P.A. prévue à cet effet.
Conclusion : La passe du guéridon inscrira ainsi le mouvement français dans l’histoire de la psychanalyse internationale, et plus particulièrement européenne dès 1992, comme précurseur d’une psychanalyse populaire, et néanmoins scientifique, de par l’inscription dans son appellation même de la condensation de deux signifiants programmatiques et universels.
radmila zygouris
Note confidentielle : Des contacts discrets ont déjà été pris avec le Dr. Lebovici, bien connu pour sa lutte